L’avocat et observateur politique Jean Bonin met en lumière les tensions persistantes au sein de la sphère politique ivoirienne, notamment à travers les différences de traitement réservées à Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé. Deux figures revenues sur la scène après leur acquittement par la CPI, mais dont les trajectoires divergent de manière saisissante.
Depuis le retour de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire, les interrogations sur sa stratégie politique et ses relations avec le pouvoir en place n’ont cessé de croître. Jean Bonin s’interroge sur la nature de ses rapports avec le RHDP (Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix), dans un contexte où les signes d’une entente tacite se multiplient. S’agit-il d’une réelle réconciliation nationale ou d’un jeu d’équilibre entre anciens adversaires ? “Quels sont les véritables enjeux derrière cette alliance, au-delà du théâtre politique ?”, questionne-t-il.
La récente victoire du RHDP au Conseil régional de Daloa alimente également les débats. Le ministre Mamadou Touré y a devancé de près de dix points une coalition PDCI–PPA–CI menée par Alphonse Djédjé Mady et Stéphane Kipré. Un résultat surprenant dans une région historiquement peu favorable au parti présidentiel. “Cette victoire traduit peut-être un basculement des rapports de force locaux, et interroge sur les soutiens réels dont bénéficie aujourd’hui le RHDP”, analyse Bonin.
Mais c’est surtout la situation de Charles Blé Goudé qui suscite ses inquiétudes. Malgré une décision d’acquittement commune à celle de Gbagbo à la Cour pénale internationale, les deux hommes n’ont pas connu le même sort à leur retour en Côte d’Ivoire. Tandis que Gbagbo a rapidement retrouvé une liberté d’action politique, allant jusqu’à fonder un nouveau parti, le PPA-CI, Blé Goudé reste freiné dans son élan. Ses comptes bancaires demeurent gelés, et son parti, le COJEP, attend toujours son récépissé. “Pourquoi un tel traitement différencié ?”, demande Jean Bonin.
Cette disparité se retrouve aussi dans les décisions judiciaires. Simone Gbagbo et Koné Katinan ont bénéficié d’amnisties, Laurent Gbagbo d’une grâce présidentielle. Blé Goudé, lui, semble marginalisé. “Il y a clairement un deux poids, deux mesures”, dénonce Bonin, qui voit dans ces choix politiques une volonté de contrôler le jeu électoral et de contenir certaines ambitions.
Sur le terrain, la différence est également perceptible. Blé Goudé prône le dialogue et soutient d’autres candidatures. Gbagbo, en revanche, adopte une posture plus combative, n’hésitant pas à évoquer la mobilisation de ses partisans. “Une lutte pour la légitimité est en cours”, observe Bonin, soulignant que Gbagbo parait jouir d’une marge de manœuvre bien plus large que son ancien allié.
La question de fond reste posée : le régime craint-il davantage Charles Blé Goudé que Laurent Gbagbo ? Pour Jean Bonin, les obstacles placés sur la route de Blé Goudé pourraient traduire une inquiétude plus profonde des autorités. Une perception d’instabilité potentielle face à un acteur politique qui, bien qu’entravé, continue de susciter un fort intérêt populaire.